Quand j’étais toute petite, on m’a dit que j’avais beaucoup de caractère. J’étais une enfant autoritaire, sûre d’elle et un peu tyrannique. C’est assez amusant quand on y pense. Ce doit être les racines de l’arbre de ma personnalité puisque je dirais que ce sont toujours des qualificatifs qui me correspondent. Enfin. C’est plus complexe que ça.
Je suis la première née de ma famille. Mes parents sont des gens adorables, bienveillants au possible. Trop. Lorsque j’ai commencé à prendre sur moi, à mûrir vraiment et à me trouver moi-même, je me suis sentie étouffée alors j’ai quitté me cocon familial et quasiment coupé les ponts avec tout le monde, sauf mon petit frère. Chez moi, oui, c’est tout ou rien. Parfois je regrette et je souhaite revenir les voir mais je suis trop fière. Ça me perdra.
Mais revenons à mon enfance.

Mon don est apparu plutôt tôt, vers mes six ou sept ans. Ce n’est pas très précis dans ma tête, je me souviens juste que du jour au lendemain si je touchais quelqu’un je vivais des expériences bizarres, je voyais des choses étranges que je n’aurais pas dû voir. Mes parents m’ont emmenée voir une chamane qui a décelé mon don : je pouvais percevoir le passé des gens avec un contact peau à peau. Elle appelait ça un don. Mes parents aussi au début. Pour moi, c’est une malédiction.
Je suis devenue la gosse la plus asociale du monde. Je ne laissais personne m’approcher, le moindre effleurement produisait des flashs. Je contrôlais tellement rien, je rentrais tout les soirs de l’école en pleurant et en me plaignant de maux de tête affreux. Je me souviens que j’étais quasiment shootée h24 aux anti-douleurs. C’était le seul moyen pour que je tienne le coup à cette période. J’avais beau mettre des longs gants que je n’enlevais jamais, des manches longues, des pantalons, etc. I y avait toujours un débile pour venir me faire un bisou, pour poser sa main sur mon épaule et effleurer mon oreille, mon cou, n’importe.
Voir le passé de ma famille me dérangeait moins, je vivais avec eux, ça n’était pas des étrangers, j’étais même parfois curieuse. Je faisais quelques tests avec mon petit frère, c’était amusant. C’était sûrement les seules fois où j’ai trouvé mon don drôle.
Ceci étant, j’avais peur de tout le monde, enfin, j’avais surtout peur du contact. M’emmener faire les magasins relevait de la torture, un vrai supplice, me faire aller à un évènement ? Je m’enfermai dans la chambre à double tour. Me faire supporter un trajet en avion ? Même pas en rêve.
Et puis j’ai dû entrer à la fac pour faire mes études de designer. Et j’ai vécu les pires mois de ma vie à ce moment-là. Je sursautai au moindre bruit, j’appréhendais de sortir de ma classe, de me frotter au millier d’étudiants de mon école. J’ai même fait l’acquisition d’un scooter pour ne pas avoir à supporter en plus le contact des gens dans le métro. Un jour que je filais comme le vent dans la rue, à pieds parce que mon scooter avait eu des soucis techniques le jour précédant, les épaules rentrées et passablement énervée de moi-même et de mon incapacité à passer outre ma peur des autres, je me suis faite abordée de manière très insistante par deux gars. Et là, je saurais pas expliquer ce qu’il s’est passé dans ma tête.
D’un coup, j’en avais marre. Ras la casquette, ça suffit les conneries. Mon cerveau a fait un tour à 180 degrés et derrière la jeune femme timide et effacée que j’étais devenue par la force des choses, l’enfant autoritaire et au fort caractère a ressurgit. C’était un amalgame de toute ma frustration d’adolescente coincée, de gamine terrifiée, toute la rébellion que je n’avais jamais laissé s’exprimer qui jaillissaient d’un coup. Un véritable volcan. Je leur ai tellement hurlé dessus qu’ils sont parti en courant et en m’insultant d’hystérique. Je me sentais calme, tranquille, pour la première fois depuis… depuis mon enfance en fait.
Suite à cet évenement, il m’a fallu encore quelques années pour sortir du trou où je m’étais enfoncée mais j’y ai mis toute ma volonté, toute mon intransigeance et ma détermination pour plier mon don à mes désirs. Bien sûr, je ne peux rien faire pour son fonctionnement intrinsèque, mais j’ai appris à ne pas me laisser submerger par le passé des gens, à ne voir que si je le souhaite. Quelque part, j’ai aussi repris le contrôle de mon corps, de moi-même, je me suis mise aux art martiaux, je me suis découvert une passion pour le designing des objets contandants et j’ai appris à les manier – tant dans une cuisine que dans une situation de combat. J’en ai fait mon métier. Et je me suis découvert une passion pour l’exploration, les défis de survie, les aventures avec le strict minimum, seule avec moi-même et la nature sauvage. J’ai dû apprendre à manier un fusil lorsque je suis partie au Kenya, et ça m’a sauvé la vie aussi.
Je me suis rendu compte tout simplement que c’était ça le but de ma vie. Bien sûr, je n’ai pas passé mon temps dans des jungles ou des montagnes, j’ai aussi construit une vie ici à Mokpo. Je me suis mariée. J’ai divorcé lorsque j’ai vu l’autre femme en l’embrassant et j’étais tellement énervée après lui qu’il a eu de la chance que j’ai pas eu de couteaux à portée de mains. Heureusement que j’ai un grand contrôle de moi.
Suite à son départ j’ai participé à plusieurs émissions de survie en lieux hostiles dont j’ai fini finaliste à trois reprises et où j’ai gagné une fois. Je me suis fait ma petite réputation, je suis assez connue dans le milieu, certaines des entreprises pour qui je travaille en temps que designer ont eu l’autorisation d’utiliser mon image pour leurs pubs et je gagne très bien ma vie. Je n’ai pas à me plaindre. Surtout considérant de comment j’étais partie.