Les cris d'un bébé naissant d'à peine quelques jours déchirent le silence de la nuit. Ses pleurs résonnent même dans les recoins les plus isolés de l'orphelinat lorsqu'une demoiselle y travaillant ouvre la porte extérieure à la recherche de l'auteur de ces cris. Crudement recouvert d'un drap troué, le bébé était seul, couché dans un panier d'osier. Aucune trace de ses parents ou de la personne qui l'aurait déposé là. Et qui sait depuis combien de temps le bébé est seul devant la porte? Personne n'a cogné. Sans aucun papier, sans aucune indication de ses origines, l'orphelinat décida de le nommer Liu Yue; mois de juin, mois où les dieux ont décidé que cet enfant méritait une deuxième chance.

Deux longues années passèrent avant qu'on ne puisse voir la lueur d'une étincelle d'espoir dans les yeux de Liu Yue. Y a-t-il une différence entre mourir de froid et de faim à un âge où on ne réalise même pas notre solitude, et grandir seul, malaimé par ceux qui auraient dû soi-disant s'occuper de lui et de son bien être? L'orphelinat est une prison, l'orphelinat traite ses enfants comme de vulgaires rats. Surtout ceux sans passé, comme Liu Yue; et possiblement même sans avenir. Mais voilà que cet homme, imposant, marqué d'une cicatrice traversant son visage en entier à l'horizontale, entre sans prévenir à l'orphelinat. Chaque enfant le regarde; certains avec appréhension, d'autre avec curiosité. Mais pour Yue, c'était de l'espoir. Est-ce cet homme, tout aussi effrayant puisse-t-il paraître, qui allait le sauver? Leurs regards se croisèrent, et l'homme esquissa un sourire. Yue se souvient d'avoir fixé du regard ses responsables une dernière fois; un regard défiant, un regard beaucoup trop mature pour un enfant de cet âge. Et alors que la porte de l'orphelinat se referme derrière Yue, un nouveau chapitre du livre de sa vie; un pan d'histoire se déroulant en banlieu de Sapporo où il sera connu sous le nom de Kozuki Hanzô.

Ils étaient cinq. Quatre garçons et une fille, cette dernière étant la seule enfant biologique de l'effroyant daron Kozuki. Venant des quatre coins de l'orient, ces quatre garçons ont été choisi avec soin par l'homme, qui recherchait l'élite. Le regard, le potentiel, l'attitude. Si jeune, mais déjà assoiffés de vengeance. Les Kozuki étant de prolifiques tueurs en série pour les yakuzas, la nouvelle génération se devait d'être absolument parfaite. Tous reçurent un prénom honorant un digne samurai, un prénom lourd de sens, de tradition, et d'attentes. Kotarô, le plus vieux, était le plus habile avec les armes à feu. Musashi était de loin le plus calme, et maître Kozuki comprit rapidement que sa place était comme stratégiste et non comme combattant. Hanzô s'illustra rapidement au niveau des arts martiaux et devint de loin le plus prolifique en combat au corps à corps. Gozen, la seule fille, n'avait pas de forces particulières mais s'illustrait de par sa polyvalence. Le plus jeune, Kenshin, jouait un rôle similaire à sa soeur mais sa fougue et son énergie furent ses principaux atoux. Rapidement, une chimie s'est installée entre Hanzô et Gozen, ainsi que Kenshin et Musashi. Kotarô, lui, voyait Gozen comme un trophée, comme le but ultime; et considérait Hanzô comme étant son principal rival. La coincidence était presque trop belle pour être vraie. Rivaux et ennemis, tels leurs homonymes de l'ère Sengoku.

Dix-huit ans. L'âge des premières fois, l'âge du premier contrat. Juin 2010, le moment de vérité pour Hanzô qui avait travaillé d'arrache-pied presque toute sa vie pour rendre son clan fier. Les adolescents suivaient parfois un adulte lors d'un contrat, observant leur travail de leurs aînés dans la pénombre. Cette fois-ci, Hanzô devait quitter seul vers Kobe. L'homme à assassiner était un traitre chez les yakuzas et devait être mis sous silence dans les plus brefs délais, sans artifices. Mais voilà qu'un obstacle inattendu s'est dressé devant Hanzô; l'homme s'attendait à être chassé, l'homme a sécurisé sa maison. Hanzô, pris au piège, n'avait nul choix que de se faufiler en secret vers sa victime et la tuer dans le silence pour ne pas sonner l'alarme. Mais la cible l'a vu, la cible s'apprétait à crier. Hanzô réussi malgré tout, malgré le sang qu'il ne voulait pas faire couler, malgré les cris qu'il aurait voulu taire. L'alarme sonna et le jeune chinois dû s'enfuir, aidé par sa forme physique et sa flexibilité. Il était loin, maintenant. Loin du danger, loin des gardes du corps de sa cible qui cherchaient le responsable. Mais tout près de lui se trouvait maître Kozuki, son père adoptif, qui le surveillait dans la pénombre comme Hanzô lui-même dû le faire lors de son apprentissage. Des erreurs grossières ont été commises, dit-il. Grossières, mais inévitable compte tenu des obstacles. Il déposa sur les épaules d'un Hanzô tremblant et haletant sa veste, signe qu'il avait passé le test final. Hanzô a réussi. Hanzô n'est pas un traitre. Hanzô est l'un des leurs.

Les contrats continuèrent, les erreurs diminuèrent et l'exécution se pauffina au fil des années. Tuer était maintenant une seconde nature. Hanzô n'était plus effrayé des cris et du sang, et se préparait pour ses contrats dans un calme presque morbide. Mais une sinistre pensée flottait dans son esprit. Ayant profité d'une synergie digne d'âmes soeurs avec sa soeur Gozen, Hanzô ne pouvait s'empêcher de trouver qu'elle était... différente. Plus renfermée, moins enjouée. La passion dans ses yeux s'était effacée, et son regard était désormais vide de sens, comme si elle avait tout perdu. Il se devait de confronter sa soeur, il se devait de trouver des réponses à ses questions pour son bien mais surtout, celui de Gozen. Son enquête ne fut pas difficile à mener. C'est avec effroi qu'il surprit Kotarô par dessus elle alors qu'elle se débatait, sans toutefois avoir suffisamment d'énergie pour crier à l'aide. Le regard de Hanzô se transforma, il devint méconnaissable, habité par une haine qu'il n'avait jamais connu auparavant.

Rugissant tel un lion, Hanzô sauta sur son rival, le poussant contre un fragile mur de bois qui se fracassa sous l'impact. Les deux hommes étaient maintenant dehors sous l'orage, mais l'aîné n'avait aucune chance. Pris par surprise et incapable de rivaliser avec la force physique et la rage de Hanzô, il fut rapidement plaqué au sol. C'est à grands coups de brique au visage que Kotarô connu le même sort que toutes les personnes qu'il aura tué avant lui. Une mort brutale, affreuse, sanglante; une morte qui fit rire Hanzô aux éclats alors que chaque coup aspergeait son visage du sang de l'aîné. Il se leva, laissant tomber la brique ensanglantée sur le corps inerte de Kotarô; puis tourna la tête en direction de sa soeur qui avait réussi à se rhabiller et à se loger en sécurité, dans un coin de la pièce où elle se trouvait. Des larmes coulèrent sur leurs joues, même si celles qui s'échappaient des yeux de Hanzô étaient camouflées par le sang de son frère aîné et par la pluie battante.

Hanzô devra répondre de ses actes, et il était prêt. Les cris attirèrent le clan presque en entier, qui arrivèrent tous beaucoup trop tard pour prévenir le pire. Le maître Kozuki savait, pourtant, que Hanzô était celui qui prenait le bushido le plus au sérieux. Il présenta alors au jeune homme un tantô, couteau utilisé pour le seppuku. Le daron fut clair; si la mort sanglante de Kotarô n'était pas honorable, Hanzô devra donner sa vie. Mais Hanzô jeta le tantô au sol, après avoir lancé un nouveau regard à sa soeur. Tous les deux restèrent muets sur les circonstances. La réponse de Hanzô a satisfait le patriarque, qui réclama ainsi l'exil honorable de Hanzô. Sans broncher, il quitta presque immédiatement, n'emportant avec lui que le nécessaire. Seule sa soeur apprit sa destination, qu'il décida sur un coup de tête: La Corée du Sud. Hanzô est maintenant libre de vivre la vie qu'il veut, sans artifices, sans meurtre. Mais il ne connait que la violence, il ne connait que les contrats. Hanzô retomba rapidement dans cette vie qu'il aurait pu facilement fuir, acceptant des contrats pour la mafia de Mokpo, à condition que ces personnes ne soient pas innocentes. Les recherches préliminaires sur sa prochaine cible le font néanmoins sourciller. Qu'a-tu donc fait pour que la mafia veule ta mort, Seo June?