« ce n'est pas en pleurant que tu le ramèneras. » C'est ce qu'ils ont dit face à mes larmes, quand celles-ci étaient trop nombreuses pour être séchées d'une délicate compassion. « ressaisis-toi, tu es grand maintenant. » La dureté de son ton m'a toujours rendu plus fragile que nécessaire, rendant mon jugement bien plus catastrophique. Après sa disparition, maman est devenue plus sensible, plus distante. Tandis que papa a enfilé un masque de sévérité et s'est plongé dans son boulot corps et âme. Ils étaient là sans être vraiment là, la tête ailleurs, sûrement enraciné dans le passé. Et moi? j'étais désormais seul.

L'absence d'Eunji n'a pas été simple à surmonter, ni pour moi ni pour mes parents. Maman est restée plus longtemps en Corée dans l'espoir de le retrouver, mais en vain. Elle est rentrée abattue, triste comme les tombes. Papa a été le seul à me gérer durant ce temps-là mais finalement c'est plus une babysitter qui s'occupait de moi que lui. Eunji me manquait terriblement mais personne ne pouvait m'apporter les réponses à mes questions. « Où est-il? Quand va-t-il rentrer? Je veux le rejoindre? Maman pourquoi tu pleures? » Alors que moi-même je me vidais de toutes mes larmes. Aucune d'entre elles n'ont fait revenir mon frère, aucune.

Les années se sont prolongées, sans lui. L'enfant pleurnichard que j'étais a été abandonné dans ce passé douloureux où papa et maman voulaient s'en remettre par tous les moyens. Les larmes se sont tari. Les questions se sont arrêté. J'ai dû grandir malgré tout, car la terre continuait à tourner. La vie n'a pas ralenti de notre côté. Nous devions être fort et fermer les yeux, l'oublier de force. J'ai enterré mon frère dans un coin de ma mémoire pour ne pas garder la tête tournée vers l'arrière mais c'était impossible -et ça l'est toujours- d'effacer totalement son nom de mon existence. Eunji est et restera mon frère.

La quasi totalité de mon enfance et de mon adolescence se sont déroulé à New-York où j'ai vécu dans cette immense maison, avec l'absence de mes parents occupés à travailler jour et nuit. J'allais à l'école comme tout le monde, j'avais des tonnes d'amis malgré mon histoire et tout le monde s'en fichait de savoir si c'était vrai ou faux pour Eunji. Et tant mieux. Je ne voulais plus parler de ça, ni de lui. Rien qu'épeler son nom faisait mal, rien que penser à lui était une douleur supplémentaire. Je voulais être comme tout le monde, quitte à le rendre inexistant. à la fin, j'ai évolué et me suis rangé dans une case. élève modèle, fils envié, beau jeune homme, bon ami. C'est ce que j'étais et ça me convenait parfaitement.

Le collège a laissé place au lycée, puis à l'université. New York me plaisait beaucoup, j'aimais vivre dans cette ville et ne voulait m'en séparer pour rien au monde mais je ne sais pourquoi ... Je voulais partir pour la Corée. Retourner là-bas où tout a commencé, le berceau de mes cauchemars mais aussi celui de mes peurs. Eunji avait disparu dans ce pays et pourtant je m'envolais pour la fréquenter. Une épreuve plutôt compliqué pour moi, mais je n'ai pas abandonné et j'ai pris cet avion pour rejoindre ce pays qui m'a longtemps fait hésité, presque terrifié.